35. Mélanie
Selon les jours, je prends mes repas au hasard, à la cantine ou dans les petits restaurants du quartier, seule ou avec des collègues, ou des amis. Mélanie, elle, déjeune tous les jours au même restaurant, à la même heure tardive, et le plus souvent à la même table. Je ne suis pas très observatrice, mais j'ai peu à peu pris conscience de son existence. Mieux habillée, je l'aurais tout de suite remarquée, mais dans le cas présent, ce que je ne m'explique pas, sa grande beauté ne m'a pas tout de suite frappée. Il a fallu pour cela qu'elle me remarque et qu'elle engage la conversation sur le fait qu'elle m'avait déjà vue plusieurs fois.
Le relation amicale s'est tissée au gré de ma présence irrégulière. Un simple sourire lorsque j'étais accompagnée, quelques mots si j'étais seule. Il s'est mis à m'arriver parfois, puis de plus en plus souvent, de caler inconsciemment mon horaire de repas, mon choix du restaurant et ma tactique pour me retrouver seule, sur ce roc que constituait la régularité de Mélanie. Et puis sont venus les sujets de conversation communs et récurrents, et tous ces petites connivences qui font qu'on a tout simplement plaisir à se retrouver.
Mélanie et moi sommes indubitablement de jolies femmes bien élevées. Malgré tout, nous avons très rapidement détecté l'une et l'autre notre intérêt, disons plutôt notre passion commune pour le sexe. Nous avions là-dessus des échanges très libres et pleins de saveur. Sans entrer dans le détail des personnes, nous débattions de notre approche du plaisir et de la jouissance, du geste et du regard, de la contrainte et de la séduction, des corps et de la nudité, voire même des attendus moraux de nos pratiques. Nous partagions largement une philosophie commune sur la chose.
Et puis ce qui était d'abord une connivence intellectuelle, est devenue progressivement de la séduction, puis de l'attirance. Mais nous ne parlions pas de la nature de notre relation. Cependant, à certains moments, nos esprits en venaient à être surchauffés à l'évocation de sujets d'une sensibilité et d'un érotisme fous, tandis que nos corps étaient complètement électrisés par leur présence mutuelle. Nos yeux brillaient.
Finalement Mélanie a fait le premier pas, en fait plutôt une sorte de dernier pas. En fin de repas, nous étions toutes deux aux confins de l'orgasme spontané, elle m'a demandé si c'était bien raisonnable de se retenir. Elle m'a proposé de monter chez elle, dans une rue voisine. Les minutes à marcher du restaurant à son appartement, toutes deux côte à côte et sans se toucher, furent d'une intensité rare. Elle m'avait parlé de son corps et des facettes de son plaisir. Je cheminais en décochant des regards sur elle, pour tenter d'imaginer ce que tout cela pouvait signifier concrètement. Même seules dans l'ascenseur, nous sommes encore restées distantes. Arrivée chez elle, cette toute première fois, la porte refermée, nous avons doucement serré nos corps l'un contre l'autre, uni nos bouches et nos langues, et chacune a conduit fiévreusement une main sous les vêtements de l'autre, au contact du sexe. De nos doigts humides, quelques attouchements ont suffi pour faire exploser une jouissance si longtemps contenue, si forte que nos bouches ont dû se séparer, que nos yeux s'écarquillaient devant l'expression d'hébétude et de bonheur de nos visages si sages. Au delà de cette délivrance, nos corps allaient maintenant pouvoir apprendre à se connaître.
Florence - fflorence@mail.com
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